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Docteur Lobel: Médecin de la rive

Henri Lobel (1906-1985)

En lui donnant le nom de l’unique  rue de la résidence Révil, et depuis peu le nom de l’arrêt de bus à l’entrée du village… Le Val de la Haye  honore la mémoire de son ancien médecin et fait résonner le nom d’Henri Lobel dans notre quotidien.  Ses fils Bernard et Jean-Jacques  ainsi que l’ancienne institutrice Bernadette Bénard (qui assista si souvent le Docteur Lobel) ouvrent  pour l’Echo Vaudésien l’album de leurs souvenirs…  Avec émotion, ils font renaître des moments que l’homme a partagés  avec les habitants du Val et de la rive…  puisque le docteur étaitseul en exercice depuis Croisset jusqu’à Saint Pierre de Manneville.

L’histoire d’Henri Lobel, c’est d’abord celle d’une vocation: une vie donnée aux autres, partageant ses journées entre une tournée quotidienne de près de 100 km et une permanence dans son cabinet du Val de la Haye. Médecin avant tout, l’homme ne s’économisait jamais « on faisait chercher  le docteur  Lobel dès qu’on avait besoin de lui… il arrivait en pyjama si c’était la nuit il arrivait en smoking si on l’appelait pendant le réveillon de la Saint Sylvestre … »

Une vie donnée aux autres

Henri  veut devenir médecin. Une vocation que le jeune juif roumain ne pourra exercer dans son pays à cause d’un « numerus clausus » qui lui impose un autre chemin. Mais le jeune homme, alors Champion de football  dans l’équipe nationale universitaire ne veut pas abandonner son idée. Il  quitte  son pays pour venir étudier la médecine,  d’abord à Rouen puis à  Paris. Le jeune diplômé compte parmi ses amis un médecin installé à Grand-Couronne. Albert Desleux l’incite à s’installer au Val de la Haye « il n’y a personne en face,  je m’use à traverser la Seine à la barque… installe-toi sur la rive, le travail t’attend ».  En 1936, le médecin encore célibataire, ouvre son cabinet sur le quai dans une petite villa nommée  « le Criquet » non loin de la rue qui porte désormais son nom.

« Il y avait un petit poële à bois en fonte émaillée, une salamandre bleue… ». De l’homme, tous ceux qui l’on croisé se souviennent, mais pour l’ancienne institutrice, le souvenir du docteur Lobel est toujours empreint d’une grande émotion   « C’était un homme doux … petit, rond et  amical avec tout le monde… et même s’il courait tout le temps…  il avait  toujours une attention  pour chacun… Quand j’étais petite, il m’appelait sa puce… Il venait quotidiennement à la maison pour soigner mon père. Aux yeux de l’enfant que j’étais, le Docteur Lobel  était un Dieu».  Son accent roumain lui fait roulait les rrr… et dans la mémoire de ceux qu’il a soignés sa voix chante encore « Entendu, disait-il, vous prrrendrrez de la purrée et de la compote…. Et ça irrrra ». C’est ainsi que le bonhomme a prodigué ses soins et ses conseils bienveillants mettant tout un village à la purée et à la compote pendant près de 30 ans !

Médecin de campagne

D’abord en vélo et plus tard en voiture -et même en voiture à gazogène- le docteur fait  une tournée quotidienne  : A Saint-Pierre, Sahurs,  Hautot…. et vers Rouen, jusqu’à Croisset… Ingéniosité de cette époque où le téléphone était un luxe, on signalait alors qu’on avait besoin du médecin en apposant un drapeau ou un linge à la fenêtre de l’épicierie… A Sahurs, Madame Ridel avait l’habitude de poser l’étendard blanc à la fenêtre de son café :  le médecin est demandé, signalait-elle ainsi.  Là, le Docteur  s’arrêtait pour savoir  où l’on avait besoin de lui…  Difficile aujourd’hui, d’imaginer qu’un seul homme pouvait être à la fois le médecin, l’infirmier, le pharmacien, l’accoucheur, le dentiste et le confident…

A la villa sans caprice

Cadeau du destin, c’est au Val de la Haye  qu’Henri rencontre celle qui deviendra son épouse.  Germaine Mandel, dont  les parents possèdent, au Val de la Haye  une maison de villégiature. De Madame Lobel, les vaudésiens  gardent un souvenir  lumineux  « C’était une personne magnifique, grande , belle  et surtout… radieuse ». Quand les femmes s’habillent encore de couleurs sombres Germaine éclaire son allure de tenues claires qui soulignent son élégance et sa gentillesse. Marié, le couple s’installe  un peu  plus loin, sur le quai, à la Villa Sans caprice où grandiront Bernard et Jean-Jacques, leurs deux fils.

Le cabinet est installé au premier étage de l’habitation. La salamandre bleue n’a pas fait le déménagement. Le décor est désormais laissé aux soins de la jeune femme. « Madame Lobel avait un goût exquis…  je me souviens d’une tapisserie chinoise ou peut-être japonaise comme était la mode de l’époque… Le jardin aussi était très beau, rempli de fleurs… ». Le cabinet ne désemplit pas, la villa est une ruche et le médecin n’a que peu de loisirs… Le jardin revêt pour le docteur une importance toute particulière, comme l’explique son fils Jean-Jacques «les roses, les pommiers, les noisetiers… Papa a reconstitué au val de la Haye un jardin qui lui rappelle ses attaches roumaines… son jardin représente pour lui la paix, le lien avec sa famille … » Dans la vie d’Henri Lobel, il y a aussi le sport ! L’ex footballeur a trouvé le moyen de concilier vocation et passion. Ainsi devient-il le médecin du club nautique de Croisset, mais aussi celui du vélo-club de Sotteville. Là, il côtoie Anquetil, Creton et Bobet pour son plus grand bonheur !

 

A la Villa sans caprice, ce sont pour le médecin

et sa famille les années du bonheur. Pourtant le nuage sombre de la guerre va venir obscurcir le ciel de la famille juive.

Rouen est occupée, et comme dans tant d’autres maisons bourgeoises, des officiers allemands ont pris leurs quartiers chez les Lobel. Bernard  raconte : « un officier s’était pris de tendresse pour le bébé que j’étais… un dimanche, mon père lui a demandé : et si vous deviez tuer ce bébé, le feriez-vous ? Si le chef me le demande, je le ferai a répondu l’autre. C’est à ce moment qu’il a compris que nous devions partir ». Dans le même temps, arrive une lettre du conseil de l’ordre interdisant au Docteur de poursuivre son exercice, le menaçant même de déportation… déjà, un médecin arrive de Rouen pour le remplacer.

Sous une jaune étoile

Le couple a décidé de se séparer pour donner à Bernard une chance de revoir un jour l’un de ses deux parents. L’enfant sera caché jusqu’en 1945 dans la Loire. Grâce au réseau de la famille De Gaulle et avec l’aide de la famille Ranger de Saint-Pierre de Manneville, Henri traverse la ligne de démarcation et trouve refuge à Igé dans l’orne.Germaine se cachera dans le Cher.

Dans l’autobus de la CNA qui emmène la jeune femme loin de Rouen, il y a Madame Ranger, l’institutrice de St Pierre de Manneville et Madame Pierre De Gaulle qui possède un château à St Pierre de Manneville. Les deux femmes ont décidé d’accompagner Germaine et son fils, qui portent l’étoile jaune, jusqu’à la gare d’Austerlitz. C’était le 15 juillet 1942, veille de la rafle du Vel d’Hiv…

De l’autre côté de la rive

La famille ne se recomposera pleinement qu’au sortir de la guerre, retrouvant le bonheur entier d’être simplement réunie. 1946 verra la naissance de Jean-Jacques, deuxième fils du couple. Le docteur reprendra ses consultations et sa tournée. En  1963,  la famille quitte le val de la haye, la rive et les patients vaudésiens. «Avec les années qui passent, l’ampleur de la tournée quotidienne devient trop lourde, mon père est épuisé… Il décide alors de  prendre un cabinet plus citadin et s’installe place Voltaire à Sotteville… . Mais le docteur Lobel regrette ce choix : « Il avait une grande nostalgie du Val de la Haye et les premières années de son installation ont été très difficiles pour lui… ». Peu à peu une clientèle nouvelle se constitue et des liens se créent avec les patients de la rive gauche… En 1975, une embolie pulmonaire vient mettre un terme à son activité. Sans qu’il l’ait choisie, l’heure de la retraite a sonné ! Pour se rapprocher de leurs fils, Henri et Germaine choisissent de vivre à Paris…

De la tendresse pour chacun

Ni un « numérus clausus » roumain,  ni les intempéries ou autres inondations  de Seine, ni même les épreuves infligées à son peuple n’auront eu raison de  l’indéfectible motivation du médecin de campagne. Soigner, réconforter encore et toujours.

Ses attaches avec le village, l’homme ne les a jamais dénouées, participant avec bonheur- et jusque dans les années 80  – aux repas des anciens. « Il faisait le tour des tables… se souvient encore Bernadette… « comptant parmi nous les enfants qu’il avait mis au monde et les femmes qu’il avait aidé à accoucher…  se remémorant les épisodes heureux de nos vies, qu’il avait si intimement partagés… »

Martine Cartier